Après l’échec des manœuvres qui devaient lui assurer un bénéfice, Racine revient à Paris au printemps 1663, et se lance de nouveau dans la carrière des lettres. Il côtoie les Vitart, les Liancourt (proches de Port-Royal), et essaie d’approcher les écrivains, en particulier Chapelain, chargé désormais d’accorder les pensions royales.
En 1664, Racine bénéficie d’une conjoncture favorable : suite à l’interdiction du Tartuffe, la troupe de Molière accepte de jouer sa nouvelle tragédie de Racine, La Thébaïde, qui raconte le conflit entre deux frères ennemis, Eteocle et Polynice, les enfants d’Oedipe, qui s’entredéchirent pour occuper le trône de Thèbes. La tragédie est violente, cruelle, et le public ne lui accorde qu’un demi-succès. Inceste, crimes… le public dans ces années cherchait surtout du romanesque, de la galanterie et des sentiments tendres, et fut déçu par tant d’horreur. On redécouvre aujourd’hui cette pièce fidèle aux principes de la tragédie : des haines familiales et vendettales, une malédiction céleste infligée par des dieux cruels; Racine donne à voir la peinture du mal, du péché, des haines antérieures mêmes à la naissance; une querelle fratricide, forme suprême du conflit tragique selon Aristote, et l’ombre du mal qui recouvre tout de son sinistre manteau. Cette pièce ne connut pas le triomphe, mais ne fut pas non plus un cuisant échec : elle valut au jeune poète une pension de 600 livres, plus quelques centaines de livres que lui ont procuré les représentations et la vente. C’est le début de la carrière. Racine devient, comme le dit Louis Racine :
“Un jeune auteur qui cherche à plaire à la cour d’un jeune roi où l’on respire l’amour et la galanterie, fait respirer le même air à ses héros et à ses héroïnes”.
Racine ou le caméléon, une fois de plus : il se coule volontiers dans les modes, sait répondre aux attentes du public. En 1665, il donne une tragédie plus galante, plus conforme au goût du public : Alexandre le Grand. Il y met en scène un Alexandre cornélien, qui se décide à pardonner, mais les vers sont teintés de l’esprit mondain qui faisait alors fureur à Paris. La pièce est un grand succès auprès des princes, et reprise en Ville… non au Palais-Royal, chez Molière, mais à l’hôtel de Bourgogne. On a longtemps dit que Racine avait abandonné Molière par arrivisme, pour lui préférer la troupe prestigieuse de l’Hôtel de Bourgogne. Georges Forestier estime qu’il s’agit plutôt d’une décision du roi. Quoi qu’il en soit, Racine, cette fois, est lancé. Les pièces s’enchaînent: Andromaque (1667), « succès de larmes » auprès du public, est un triomphe; l’année suivante, il s’essaie avec la comédie des Plaideurs, inspirée d’Aristophane, mais ne poursuivra pas dans la voie du rire. Avec Britannicus (1669), pièce romaine, il renoue avec la tragédie et tente de séduire les doctes: il n’obtient qu’un succès médiocre. L’année suivante, il fait jouer Bérénice (1670): le jeune dramaturge décide la confrontation directe avec Corneille, et remporte une éclatante victoire sur son aîné, avec cette histoire d’amour pleine de « tristesse majestueuse », résolue sans mort violente. Puis viennent coup sur coup en 1672 Bajazet et Mithridate, la tragédie préférée du roi. Les productions s’espacent ensuite: Iphigénie, bénéficie d’une mise en scène grandiose lors de sa création à Versailles, en août 1674 ; et Phèdre trois ans plus tard (1677), la dernière tragédie profane de Racine.
Racine paraît de prime abord bien loin de Port-Royal pendant cette période tumultueuse de son existence. Il s’éprend successivement des deux actrices qui incarnent ses héroïnes: d’abord la Du Parc, alias « Marquise » (1633-1668), qui créa le rôle d’Andromaque; puis la Champmeslé, née à Rouen et que sa ville natale honore en lui donnant le nom d’une rue en centre-ville.
Il accumule en même temps les honneurs et les gratifications : en 1672, il entre à l’Académie française; en 1674, il devient trésorier général de France à Moulins (la charge est anoblissante). Et en 1677, renonce au théâtre, activité encore considérée comme sulfureuse, pour occuper la charge bien plus respectable d’historiographe du roi ; la même année, il se marie bourgeoisement avec Catherine de Romanet, dont il aura sept enfants.