Racine naquit en 1639 à La Ferté-Milon, non loin de Château-Thierry qui fut la patrie de La Fontaine. Il n’était pas issu d’un milieu aussi défavorisé qu’on l’a dit parfois : il appartenait à la bourgeoisie locale qui occupait les quelques emplois disponibles pour administrer cette bourgade. Celle ci avait alors le statut peu envié de baillage. Quelques familles s’entendaient pour se répartir les postes : les Racine, les Sconin, les Desmoulins. Du côté maternel, les Sconin, on gérait le “grenier à sel” et les impôts y afférant. Du côté paternel, celui des Racine, on trouvait des greffiers: le père du dramaturge, qui se prénommait également Jean, était procureur du bailliage. Alain Viala parle d’une “bourgeoisie de village”. Bourgeoisie qui avait des prétentions, toutefois : le grand-père avait fait placer des armoiries sur les vitres de son hôtel. « D’azur au rat et au cygne d’argent », elles constituaient ce qu’on appelle des « armes parlantes » (rat-cygne).
Jean Racine perd successivement sa mère, morte après la naissance de sa petite sœur Marie en 1641, puis son père en 1643. Orphelin, il ne fut pourtant jamais abandonné : ces clans familiaux étaient très soudés, et ne laissaient jamais l’un des leurs sur le bord du chemin. Tandis que Marie fut recueillie par les Sconin, Jean fut élevé par sa grand-mère, Marie Desmoulins-Racine, qu’il appelait “ma mère”; il fut également proche de la fille de cette dernière, Agnès Racine, sa tante. A la mort de son grand-père paternel, Jean devint le pupille de son grand-père maternel, Pierre Sconin.
Dès cette époque, la famille de Racine était liée à Port-Royal, où l’enfant sera bientôt recueilli et élevé. C’est, là encore, le réseau des sociabilités locales qui expliquait cette proximité: les Arnauld possédaient des terres à Pomponne, et fréquentaient la bourgeoisie locale. Aussi, quand, en 1625, Suzanne Des Moulins, grand-tante maternelle de Jean, décide d’embrasser la religion, elle choisit de rejoindre Port-Royal de Paris, monastère qui jouissait d’une excellente réputation depuis la Réforme entreprise par Mère Angélique, à une date où Port-Royal n’était pas encore emporté dans les querelles jansénistes. Suzanne exerça à Port-Royal les importantes responsabilités de cellérière, jusqu’à sa mort en 1647. Pendant cette période, elle attira à Port-Royal plusieurs membres de sa famille et habitants de La Ferté-Milon. En 1646, c’est ainsi la tante de Racine, Agnès Racine, qui entre au couvent de Port-Royal, où elle a peut-être aussi reçu plus tôt son éducation. Cinq ans plus tard, en 1651, c’est autour de Marie Des Moulins, grand-mère de Jean, de s’installer à Port-Royal-des-Champs, comme aide à l’entretien du monastère. Ce sont donc deux femmes de sa très proche famille qui vont, assez logiquement et naturellement, attirer le petit Jean dans l’institution scolaire en train de naître dans l’orbite de l’abbaye.
Il faut nuancer la thèse traditionnelle selon laquelle Racine fut reçu par charité à Port-Royal : c’est une décision familiale méditée, mûrie et aisément explicable par la logique des alliances familiales.