En juin 1637, l’abbé de Saint-Cyran envoie quelques enfants à Port-Royal-des-Champs, sous la direction d’un prêtre d’une trentaine d’années, Antoine Singlin: les Petites-Ecoles de Port-Royal sont nées. Leur renommée vient aussi bien de l’excellence des maîtres (le grammairien Claude Lancelot, l’humaniste Pierre Nicole, Antoine Arnauld) que de l’éminent renom des élèves, dont le plus célèbre est Jean Racine. Si celui-ci entra à Port-Royal dès 1646, selon une des hypothèses chronologiques retenues par les biographes, il connut alors la première période parisienne de cette institution. Celle-ci devait rester très informelle, étant donné l’opposition des jésuites, hostiles à des formes d’éducation concurrentes de leurs collèges. D’abord installées à Paris dans la rue du Cul-de-sac Saint Dominique (actuelle impasse Royer-Collard), puis au Chesnay et au château de Troux (près de Port-Royal), les Petites-Ecoles se fixent définitivement sur le plateau des Granges avec la création en 1651-1652 d’un bâtiment à cet usage, connu encore de nos jours sous le nom de “bâtiment des Petites-Ecoles”. Elles y restent jusqu’en 1656, année de leur première dispersion. La période de scolarité de Racine correspond donc à la courte période d’apogée des Petites-Ecoles (1651-1656)
Victime des soubresauts politiques consécutifs aux querelles jansénistes aussi bien que de la méfiance des jésuites qui voyaient en elles la concurrence d’une pédagogie rivale, les Ecoles ferment par ordre du roi en 1660.
La présence du petit Racine à Port-Royal correspondit au moment des plus vives tensions pour le monastère : il était présent lorsque Pascal rédigeait les Provinciales (diffusées par Vitart) et lorsqu’Arnauld fut exclu de la Sorbonne.
Racine entretint avec ses maîtres une relation où entrait de l’affection : l’orphelin était en manque de parents et s’en trouvait de substitution : il appelait Antoine Le Maistre, ancien avocat devenu Solitaire, son “papa”, terme très familier et intime à cette époque. On lui enseigna le français, le latin, le grec, dont il tira le meilleur parti, et les langues vivantes : nul doute que l’éducation qu’on lui donna ne contribua à former le futur poète.
Mais l’enfant était rétif, et manifestait déjà un intérêt pour la littérature qui dépassait les bornes dans lesquelles ses maîtres tentaient de maintenir cette passion. En particulier, le jeune Racine se plaisait à la lecture des romans, lecture proscrite, car les romans à l’époque ne parlaient que d’amour, et étaient réputés échauffer les passions. Racine était pourtant parvenu à se procurer un roman grec antique, Les Ethiopiques, sans doute avec la complicité de son cousin Vitart. Son fils Louis nous rapporte dans ses Mémoires cette anecdote, qu’il dit tenir de son frère Jean-Baptiste :
On appliquait mon père, quoique très jeune, à des études fort sérieuses. Il traduisit le commencement du Banquet de Platon, fit des extraits tout grecs de quelques traités de saint Basile, et quelques remarques sur Pindare et sur Homère. Au milieu de son occupation, son génie l’entraînait tout entier du côté de la poésie, et son plus grand plaisir était de s’aller enfoncer dans les bois de l’abbaye avec Sophocle et Euripide qu’il savait presque par cœur. Il avait une mémoire surprenante. Il trouva par hasard le roman grec des amours de Théagène et de Chariclée. Il le dévorait, lorsque le sacristain Claude Lancelot, qui le surprit dans cette lecture, lui arracha le livre et le jeta au feu. Il trouva moyen d’en avoir un autre exemplaire, qui eut le même sort, ce qui l’engagea à en acheter un troisième, et, pour n’en plus craindre la proscription, il l’apprit par cœur et le porta au sacristain en lui disant : « Vous pouvez brûler encore celui-ci comme les autres. »
Pendant ces années, il lit Virgile, Horace, Sophocle, Térence… les grands maîtres grecs et latins.
S’il fit des allers-retours à Beauvais et termina ses études à Paris, c’est à Port-Royal qu’il parvint à la maturité poétique. Les événements dramatiques et la dispersion des Ecoles ayant provoqué un retard dans ses études, il bénéficia de ce que nous appellerions une “année de césure”, année de formation supplémentaire qu’il passa à Port-Royal en 1656-1657. Il bénéficia alors d’un statut particulier, et fut particulièrement proche des Messieurs, il était alors déjà presque adulte, âgé de 17-18 ans à ce moment.