Le séjour à Uzès

Les maîtres de Port-Royal désapprouvent l’attirance de Jean Racine pour le siècle profane et les mondanités. D’autant que, outre les réprobations morales qu’encourt le jeune homme, il se couvre de dettes… La publication de l’Ode à la nymphe de la Seine à ses frais (et ceux des Vitart qui l’ont aidé) contribue à sa ruine. Mais la famille est là : Vitart, toujours au service des Luynes, confie à Racine la surveillance des travaux au château de Chevreuse, tout près de Port-Royal (on l’appelle aujourd’hui château de La Madeleine) ; il doit par exemple faire supprimer le pont-levis… qui sera rétabli plus tard. C’est entre Chevreuse et Port-Royal qu’est aujourd’hui tracé le chemin Jean Racine, que l’on parcourt à pied, et qui est ponctué par des bornes portant des vers du Paysage de Port-Royal. L’éloignement de Port-Royal est déjà sensible : à quelques kilomètres à peine de ces Granges où il fut élevé, il se sent pourtant en exil. l s’ennuie “à Babylone”, trop loin à son gré de Paris, des cabarets, des comédiennes qu’il commence à fréquenter. Ses parents et amis lui reprochent de s’éloigner de Dieu, et de se perdre à Paris dans la vie artistique et littéraire : il reçoit tous les jours “excommunication sur excommunication”, raille-t-il, apparemment peu impressionné par les semonces de sa tante.

En novembre, il est contraint de partir très loin. Une opportunité s’est en effet présentée : Antoine Sconin, son oncle, propriétaire de deux bénéfices ecclésiastiques, manifeste la velléité de lui en résigner un. Pas sans condition: Jean doit embrasser la carrière ecclésiastique, et séjourner chez son oncle, à Uzès, pour qu’il lui enseigne la théologie. Il obéit et part pour Uzès, sans renoncer à entretenir une relation épistolaire avec ses amis parisiens, ainsi ce poème à Vitart où il exprime sa surprise et sa fascination pour le climat méditerranéen qu’il décrit comme un printemps éternel. Il laisse aussi quelques-uns de ses premiers très beaux vers sur les brûlantes nuits du Midi.

Enfin, lorsque la nuit a déployé ses voiles,
La lune, au visage changeant,
Paraît sur un trône d’argent,
Et tient cercle avec les étoiles,
Le ciel est toujours clair tant que dure son cours,
Et nous avons des nuits plus belles que vos jours.

Après l’échec des manœuvres qui devaient lui assurer un bénéfice, il revient à Paris, et se lance de nouveau dans la carrière des lettres. Il côtoie les Vitart, les Liancourt (proches de Port-Royal), et essaie d’approcher les écrivains, en particulier Chapelain, chargé d’accorder les pensions royales.