L’intendant des Luynes

Antoine Le Maistre, ancien avocat devenu Solitaire songe à une carrière juridique pour son protégé. En 1657, Jean Racine est envoyé au collège d’Harcourt, dirigé par un proviseur ami de Port-Royal, Thomas Fortin. Il y subit ainsi encore, indirectement, l’influence de ses premiers maîtres à travers les cours de philosophie, de morale et de métaphysique qui lui sont dispensés.

En 1659, Racine sort du collège, mais n’éprouve aucune envie de quitter Paris, ni de poursuivre des études de droit, d’autant que son protecteur Le Maistre est mort en 1658. Son cousin Nicolas, au service des Luynes, lui obtient une place d’intendant qu’il conservera deux ans. A cette époque, il commence à fréquenter le monde littéraire, il apprend les codes de la sociabilité galante dans le salon des Vitart, il s’essaie à la poésie précieuse, il court les cabarets avec La Fontaine, il écrit des vers de circonstance, il compose une pièce de théâtre aujourd’hui perdue, Amasie, qu’il présente à l’été 1660 aux théâtres parisiens – qui la refusent. Son premier succès date de l’automne 1660 : l’Ode à la nymphe de la Seine, en l’honneur du mariage de Louis XIV, qu’il fait imprimer à ses frais, dans l’espoir d’obtenir une reconnaissance.

Je suis la nymphe de la Seine,
C’est moi dont les illustres bords
Doivent posséder les trésors
Qui rendaient l’Espagne si vaine :
Ils sont des plus grands rois l’agréable séjour,
Ils le sont des Plaisirs, ils le sont de l’Amour,
Il n’est rien de si doux que l’air qu’on y respire ;
Je reçois les tributs de cent fleuves divers,
Mais couler dessous votre Empire
M’est plus que de régner sur l’empire des mers.

Jean Chapelain, célèbre poète et académicien, et surtout chargé de mettre en œuvre la politique de mécénat royal, lui fait l’honneur de le corriger. Racine ou le caméléon, écrivait Alain Viala : ce premier essai important montre à quel point le poète est capable de se couler dans le genre qu’il pratique, d’adopter les codes du milieu dans lequel il évolue  : ici une poésie de circonstance, dans laquelle il reprend la structure de l’ode malherbienne, mais en lui donnant une inflexion galante. 

Jean Racine s’éloigne de ses maîtres en choisissant la poésie mythologique et profane, mais il se montre encore fidèle, dans la forme, à la pratique d’Arnauld d’Andilly, en choisissant (au lieu du décasyllabe), le dizain d’alexandrins abbaccdede. Même lorsque l’ambitieux jeune homme s’affranchit du joug de ses austères professeurs, il reste encore leur débiteur.

L’épithalame (poème à l’occasion de noces) traduit l’appétit de gloire et l’arrivisme du jeune poète. Racine, en 1659-1660, choisit d’embrasser la carrière des lettres : choix qui atteste la transformation du statut de l’auteur et la naissance de l’homme de lettres moderne, tel que l’a étudié Alain Viala. Etre écrivain, cela veut dire désormais choisir une voie qui permet d’occuper des postes, des responsabilités, d’obtenir des subventions, et un statut social.